LE CHOC DU SOLEIL LEVANT
Le Japon commence à
faire appel à de nombreux dessinateurs
franco-belges. Parmi
ceux-ci, Baru et Baudoin,
dont le travail à la japonaise a déjà été largement médiatisé. Une
rubrique dans "Morning"
en accueille beaucoup
d'autres. L'un de ceux-ci
à tenu à témoigner dans
nos pages. Vous le connaissez bien, il s'agit de
l 'invité-vedette de notre
premier numéro
FRANK
Rencontre!
Je n'ai jamais eu envie d'aller au
Japon, commence Frank.
Mais ses rencontres au Burundi vont l'amener à s'y
rendre plus tôt que prévu.... Et alors qu'il
ne devait y passer qu'une semaine pour
promouvoir la culture belge, il va y rester
5 semaines de plus, visitant le Japon du
Nord au Sud et d'Est en Ouest. S'y
trouvant bien, il a envie de comprendre
comment vit le Japon de l'intérieur. Un
certain Guy Dessicy (directeur du CBBD)
lui a donné un numéro de téléphone à
Tokyo.
C'est ainsi qu'il rencontre Pierre-Alain Szigeti -retenez bien ce nom, ... ! Ce dernier a fait naguère un bref passage chez un éditeur français. Sa destinée va le mener au Japon où il désirait se perfectionner en économie et apprendre le Japonais. Il est remarqué par KONDANSHA, un des trois plus grands éditeurs japonais.
Kodansha voulait
s'ouvrir à la bande dessinée européenne
et américaine,
précise Frank. Szigeti eut
dès ce moment-là pour mission d'être le
contact entre les éditeurs et les auteurs
non japonais. C'est ainsi qu'il se retrouvait à la tête d'une rubrique dans
"Morning", un hebdomadaire japonais
"Pierre et ses amis".
Cette rubrique n'a
rien à voir avec le boulot de Baudoin et
Baru qui travaillent à la japonaise ayant
un style expressif et graphique, surtout
qu'ils sont personnels et rapides. Quant à
elle, la rubrique "Pierre et ses amis"
offre huit pages de BD spécialement
conçues pour les Japonais, mais "à l'européenne".
Les méchants Japs ?
C'est ainsi qu'il rencontre Pierre-Alain
Szigeti. Le lecteur japonais, à l'instar de
l'américain, n'est pas habitué à découvrir
d'autres cultures. Kondansha a donc décidé d'y aller
par petites doses.
Mais estce que cette ouverture est réellement
sincère et durable, je n'en sais rien. On a
parfois l'impression que le Japon et l'Europe sont sur deux rails parallèles qui se
rejoignent à l'infini, mais qui, en fait, ne se
rencontreront jamais.
Cette expérience
semble révéler deux tendances : renouveler l'écurie japonaise en
l'incitant à s'exercer sur d'autres styles graphiques
et narratifs au contact des européens et bien sûr
pouvoir exporter du matériel, car, mis à
part Akira, Dragon Ball et bientôt Nausica,
les essais sont vains. Bref, de leur côté, ils
ont aussi beaucoup à apprendre de notre
bande dessinée.
Une possibilité d'inspiration?
De plus c'est intéressant de comprendre les leitmotivs d'un pays où la BD
est une industrie florissante et très lucrative. Et vous ne vous imaginez pas le
creuset que ça peut donner, un creuset
unique pour repenser une nouvelle forme
de BD. Cela offre un vent frais dans le
climat actuel de la BD franco-belge; où
tout le monde se plaint de la crise depuis
dix ans; où les revues disparaissent; où le
lectorat est saturé; où les éditeurs se
regroupent.
Les Japonais ont réussi à
toucher un très large public. En effet, ils
font une BD très vivante qui est proche
des gens en les touchant dans leur vie de
tous les jours, on trouve ainsi des mangas
s'adressant au troisième âge, aux golfeurs, aux employés ou aux Sumos...
A l'heure où on n'arrive plus à faire
un journal, on aurait tout à apprendre de
leur démarche.
Le lectorat est en constante relation avec son magazine par le
biais de référendums permanents. Les
grands éditeurs essayent sans arrêt d'appréhender leur impact sur le public. Et ils
aident les auteurs à comprendre le contexte culturel dans lequel ils vivent, car un
auteur qui est constamment sur sa planche à dessins n'a pas le temps de rester
branché sur l'actualité.., que ce soit chez
nous ou au Japon. Ainsi chaque auteur a
son rédacteur, qui le suit, l'encadre.
Chez nous, on est asphyxié par les oeuvres
d'auteurs, qui n'est plus en phase avec les
demandes du grand public.
Quand un
auteur japonais (expérimenté ou débutant) désire lancer une nouvelle série, les
rédacteurs se réunissent afin de voir les
possibilités effectives de succès et aident
à dresser le canevas de la série; tout en
veillant à l'épanouissement de l'auteur.
On remarque que tout ce travail d'éditeur n'est pas fait chez nous. De plus, nos
éditeurs semblent ignorer les mécanismes rédactionnels qui règnent dans ces
pays où la BD se porte très bien (USA et
Japon). Mais quand on sait que l'impact
du manga dépasse celui de la TV, cela fait
réfléchir.
Une bande dessinée qui est peut-être
à repenser complètement, tout en gardant nos originalités, notre acquis culturel,
en tentant de se frotter avec l'étranger.
Cette rencontre n'en est qu'à ses
prémices, rien ne dit qu'elle va aboutir.
La narration
Le cliché du manga le plus couru est
que c'est une BD agressive. II n'en est
rien, ou alors ce sont des exceptions ou
simplement un genre parmi d'autres..
Leur BD privilégie l'expression et l'efficacité, comme on a pu le voir dans Akira.
L'action peut être très étirée -et non
diluée-, prendre plusieurs pages pour un
détail qui a son importance. Les effets et
les rebondissements inattendus constituent également les clefs de ces fameux
mangas.
C'est simple, une fois qu'on est
plongé dedans, on ne peut plus s'en sortir.
C'est un véritable piège pour les yeux.
Et sachant que ces histoires occupent
trente pages par semaine, pendant des
années, on se rend compte que l'auteur a
tout le loisir d'imposer son univers, de
mettre en place une situation, de construire une psychologie, alors que chez
nous, tout n'est qu'ellipse. Voyez ce que
notre ami nous raconte à ce sujet
«Un dernier cliché qu'il faut oublier très vite
est que le manga est caricatural. Au
contraire, ils sont parfois très subtils,
complexes, pour tout dire, créatifs.
En conclusion?
"Pierre et ses amis", c'est une aventure courageuse car ils n'ont pas choisi la
voie la plus facile, ils n'ont pas été
chercher les plus grandes pointures mais
des auteurs qu'ils jugeaient intéressants
Lamquet, Wendling, Cabanes, Raives,
Warn's ...
La série que Frank est en train de
dessiner pour 'Morning' s'appelle
'Matou' [Ndlr : en japonais : 'Matu'] des
histoires de 6 à 8 planches d'un chat
épicurien dans un univers très «bruxellois».
«Cela m'a donné une envie de
raconter que je n'avais plus connue depuis très longtemps,
un désir de communiquer.»
Et c'est salutaire car cela lui a
offert une bouffée d'air pour son travail
sur "Zoo" qui est techniquement très
sophistiqué -donc un travail harassant.
C'est ainsi que durant son séjour au
Japon, il réalisa une planche par jour
d'une nouvelle histoire de Broussaille:
"Broussaille au Japon", qui sera repris
bientôt en album ("Voyage") avec deux
autres récits, se déroulant au Burundi et
au Portugal.
«Ce "Matou", c'est une gâterie que
je m'offre tous les deux mois en réalisant
huit planches de manga. »
Un équilibre
semble donc s'installer entre un travail
d'auteur -long- et un travail plus facile et
direct. Et cela à la plus grande joie de tous
les lecteurs... Mais n'est-ce pas une idée
à creuser pour trouver cet équilibre tant
espéré pour la bande dessinée francophone ?...
(à suivre ...) Pour tout renseignement complémentaire, lisez l'article paru dans le "Préam-Bulle" (CBBD), en septembre.
Copyright - éditeurs et auteurs cités.
|