Rencontre avec Frank
Notre premier invité est Frank, Frank Pé. Il est connu par le public bruxellois pour ses bandes à saveur ixelloise et son mur en plein cœur de la ville, non loin de la Grand-Place. Dans Spirou, il a laissé son empreinte pendant 6 ans avec un petit strip que l'on pouvait retrouver chaque semaine au début de l'hebdomadaire : l'élan. Mais son personnage phare est sans conteste Broussaille. Personnage qui lui servit à illustrer une rubrique sur la nature qui nous entoure. Celui-ci commença à vivre sa vie de bédé lors d'un numéro spécial, il visitait un Musée des Sciences Naturelles abandonné. Depuis Broussaille s'est trouvé en Bom un second père. Bom, scénariste -jusqu'alors humoristique- aimant l'histoire -voir Sylvain de Rochefort-, fit son premier essai dans la "Chapelle aux chats". C'est alors qu'on découvrit un baroudeur qui trafiquait des animaux dans la jungle asiatique : "Vincent Murat". II était né 6 ans plutôt de la plume de Brouyère, qui offrait ainsi une "chance formidable" au jeune Frank. Dans cette bande, on peut découvrir qu'un second scénariste pris le relais : Thierry Martens, alias Terrence. Puis vinrent les trois récits en 44 planches de Broussaille : "Les Baleines publiques", "Les sculpteurs de Lumières" et "La Nuit du Chat". Parallèlement à Broussaille, unanimement reconnu comme l'une des meilleures séries ados, Frank effectue de nombreuses illustrations et participe à divers collectifs, dont le célèbre calendrier de la FSC -Fédération des Scouts Catholiques de Belgique-, qui depuis des décennies nous laisse découvrir les talents de nos auteurs. On lui confie la réalisation des calendriers 89 et 91. Suite au premier, il est engagé par Guy Delcourt pour réaliser un livre sur les chats : "Entre Chats", où l'on peut découvrir tout le talent de chef d'orchestre de Frank. Y aura t'il d'autres essais? Depuis quelques temps, l'actualité Frank est plutôt calme, plus rien ne paraît si ce n'est cet été une collaboration à un spécial (A Suivre) sur le rêve et "le" mur -au Plattesteen, rue Maché au charbon, 1000 Bruxelles. Si monsieur Pé est si "discret" de ces temps-ci, c'est qu'il nous prépare une nouvelle bédé : "Zoo". Nous avons vu les planches mises en couleurs, il n'y a aucun mot pour traduire notre admiration. Par une belle après-midi, Denis et moi discutons pour la dernière fois de l'interview qui nous attendait. Nous étions un peu dans nos petits souliers, il faut bien le dire! L'heure fatidique approchait. On sonne, une voix nous répond, Frank apparaît dans l'entrebâillement de la porte et nous attire vers l'intérieur. Son atelier dans son salon, "Le Chat" sur un coussin. C'est par lui que commence notre discussion. Puis on fait plus ample connaissance, nous parlons des albums qui nous ont marqués, du Mur Broussaille du centre-ville... Qu'est-ce qui vous a poussé à peindre cela? Moi, rien du tout! Je suis monté dans un train en marche. Au départ, il y a la relation entre une agence de publicité spécialisée dans les grands panneaux muraux et la ville de Bruxelles, qui donne les autorisations. Puis il y a le C.B.B.D. (Centre belge de la Bande Dessinée). Ils ont pensé à moi, parce que j'avais traité Bruxelles dans mes bouquins et que j'avais de bonnes relations avec eux. (ndlr : Dessin sur Horta exposé à l'entrée du CBBD, ...) Quand ils sont venus me trouver, j'ai trouvé ça chouette d'autant plus que je pouvais utiliser Broussaille; c'est le moyen idéal pour faire vivre le personnage. Surtout qu'il se situe sur la terrasse du Plattesteen, un lieu en lui-même semi culturel, branché. J'ai fait un petit pro jet, puis le dessin définitif. Topaze a fait la couleur. Et des muralistes professionnels ont réalisé le dessin en grand sur le mur. C'est le genre de pro jet qui pour moi à demandé le minimum d'efforts et qui a rapporté un maximum d'effets; contrairement à d'autres projets pour lesquels on rame parfois beaucoup pour un maigre résultat! En plus, il y a l'originalité. Tous les partenaires avaient conscience que c'était une première à Bruxelles -même s'il y avait déjà un mur B.D. fait par Schuiten dans la rue de Namur. Ici, c'était une initiative claire et officielle de faire un mur avec de la B.D.. à Bruxelles, qui est tout de même un des pôles de la B.D.. C'était une occasion de se réveiller... On voulait que ce soit quelque chose qui accroche, qui soit sympa, qui donne envie d'en faire d'autres. BEL VISION Vous avez fait vos débuts chez Belvision ? Je n'y suis resté qu'un mois. Je venais de quitter l'Athénée. J'allais publier quelques mois plus tard ma première carte blanche dans Spirou. Je suis arrivé chez Belvision, tout simplement parce qu'un ami de mes parents connaissait quelqu'un qui travaillait là-bas, a vu que je dessinais et m'a dit qu'ils engageaient. C'est José Dutillieux qui m'a embauché. Il est devenu par la suite un responsable financier chez Dupuis. La seule chose que ça m'a appris c'était de bien comprendre que ce n'était pas le dessin animé que je voulais faire. A l'époque, on travaillait sur "Gulliver", un mélange de film live et de D.A. C'était très coincé. Je ne crois pas qu'il soit sorti en Belgique. J'ai fait ça un mois. Toute la journée, penché sur une table lumineuse avec un néon en-dessous, les stores baissés en plein été, ça ne m'a pas plu. Avec un ambiance de bureau; les cancans entre secrétaires. ÉPOQUE ST-LUC Ensuite, vous êtes passé à St-Luc?'. J'ai été très déçu par l'enseignement de St-Luc! A l'époque, on sortait encore de 68! Les profs étaient fort marqués par ce mouvement-là et c'était la créativité bénie des élèves. Surtout ne pas les influencer! Donc aucun enseignement véritable de dessin, peu d'anatomie, de composition, de technique. ça a été 3 ans où j'ai pu dessiner peinard chez moi, arriver en retard aux cours, sécher un maximum, rencontrer des gens. St-Luc, c'était un bouillon de plein de trucs, beaucoup de marginaux. A St-Luc, vous avez rencontré Geerts et Hislaire? Oui! On n'était pas dans la même classe. On se voyait un peu à la récrée. On a vraiment sympathisé après St Luc, quand je suis sorti. Et là, on s'est beaucoup vu, on s'est mutuellement influencé, en dessins, mais peut-être plus encore en paroles. On échangeait beaucoup nos points de vue, nos critiques. C'était un petit groupe, on allait en vacances ensemble pour travailler. LES DÉBUTS CHEZ DUPUIS C'est à cette époque-là que vous commencez à travailler pour Dupuis. Comment y êtes-vous entré? J'avais rencontré Hislaire, puis Brouyère, chez lequel Hislaire travaillait. Brouyère avait montré mes planches au rédacteur-en-chef. J'avais abordé la B.D. d'une manière très technique. Je m'étais efforcé d'avoir un bon encrage, de faire de la bédé belge, des gros nez et tout. J'avais donc cette facture très acceptable pour l'éditeur. En plus le journal de Spirou, avec Thierry Martens, cherchait à remplir un maximum de pages avec des jeunes qu'il ne fallait pas payer trop cher. C'était un journal avec un budget très bas, c'était un peu le tic de l'époque. Ce n'était pas si mauvais car, finalement, ça a lancé plein de jeunes. Dans la semaine ou les quinze jours qui ont suivi les derniers examens à St-Luc, j'ai fait mes premières illus pour Nature-jeunesse dans Spirou. Très vite, ils m'ont proposé de faire un 44 planches, ce qui n'était raisonnable de leur part. Perfectionniste, j'ai mis un temps fou pour le terminer. 6 ans ! Avec quand même deux ans de service civil, pendant lequel je n'ai rendu quasi aucune planche. Avec Vincent Murat, vous avez travaillé avec Brouyère. Brouyère qui a eu des problèmes personnels, au point de déléguer la réalisation du scénario de "Comme un animal en cage" à Martens alias Terrence. RIRES EN DÉPRIME Avant l'apparition de l'élan, vous avez fait des bas de pages en même temps que Yann et Conrad faisaient leurs hauts de pages. Je pouvais bosser là-dessus seulement une demi-journée par semaine, parce que c'était durant la période du service civil. J'avais les infos qu'on me chargeait de mettre en forme. ça devait être fait au plus vite. A la toute fin de cela, l'élan est arrivé sur la pointe des sabots. Beaucoup de monde a été frappé par l'élan. Pourquoi un tel impact? Je ne pourrais pas vraiment en donner les raisons. Mais j'ai mes petites idées. Marchent à tous les coups tous ceux qui sont là chaque semaine. Voyez Jojo! Il est très présent dans le journal. Il vit! Ensuite L'élan est un petit strip, c'est-à-dire que pour peu que ce ne soit pas trop chiant, ça se lit très facilement. Si ce n'est pas bon vous l'oubliez, ça ne vous a rien coûté. Et si c'est bon c'est gagné. C'est comme la loterie. L'originalité du strip c'est que je faisais rire avec un truc triste (rires). Et ça quand ça marche, c'est toujours un bon mélange! La déprime? Oui, à l'époque ça me faisait vraiment rigoler de se moquer gentiment de quelqu'un qui est déprimé, parce que je l'étais régulièrement moi-même, évidemment. J'ai trouvé un filon un peu par hasard et j'ai vraiment pris du plaisir à l'exploiter. J'ai aussi arrêté parce que je sentais que le filon se tarissait. Si j'avais continue, j'aurais dû apporter de nouvelles bases. Le problème ne s'est pas posé car le journal n'était plus tout à fait le même. Je trouvais que l'élan, c'était drôle si ça restait marginal. Une fois que ça devenait un vrai personnage, je ne l'aurais plus senti. On ressent, malgré ce sentiment de déprime, un optimisme à tout craint chez Frank' Peut-être que sans cet optimisme-là, je n'aurais jamais su aborder un personnage comme celui-là. Il y avait quand même des semaines où c'était tangent; laborieux même, parce que c'est très difficile de faire du strip! Les gens qui font ça chaque jour, ils sont très forts. Il y a des moments où l'on trouve plein d'idées. Je les notais, j'avais de la matière pour deux mois. Mais il y avait des semaines où il n'y avait plus d'idée, alors je devais en trouver une et ça ne me faisait pas rire (rires). J'ai appris plein de trucs et si je pouvais recommencer des strips comme l'élan dans un journal qui me plairait et qui soit vivant, où ça aurait sa place dans un rédactionnel digne de ce nom, je le ferais volontiers. Avec un autre personnage. L'élan, c'est fini. RENCONTRE MIRACULEUSE Et puis est arrivé un autre humoriste avec lequel vous avez commencé à collaborer : Bom! Il était déjà là avant de commencer l'élan. Bom, c'est une rencontre miraculeuse. ça "cloppe"; ça a cloppé au début, ça cloppe toujours, au-delà de ce qu'on se dit. On parle beaucoup des histoires, pour Broussaille. Vous mettez tout ensemble? Oui, oui! On mélange vraiment tout ça grandi à deux au fur et à me sure. On se comprend très bien, on se renvoie la balle, on se complète au de-là de ce qu'on peut dire. ça n'a pas toujours été serein. II y a eu un moment de crise entre le 2ème et le 3ème album. On a été très loin dans une histoire, qui s'appelait "Louise", qui se passait en Auvergne. On a arrêté! Cela a été long, pénible. On a failli ne plus travailler ensemble; mais comme d'habitude, passer ces turbulences nous a appris des choses. On se connaît mieux. On sait jusqu'où on peut aller. En tout cas, le prochain Broussaille, je le ferai encore avec lui! Il y aura encore un Broussaille? Oui, oui! Après Zoo, j'en fais 2 coup sur coup. ROUX, GRANDES LUNETTES, RÊVEUR Les "Baleines publiques" commence d'une manière tout à fait classique, avec une mouette qui sert de narratif... Dès le départ, celle-ci croise Catherine. Vous vous rendez compte comme c'est bien construit ! (rires) Et on a l'impression qu'un cycle se termine avec le 3ème album. Ah tient ?!? On entrevoit Catherine dans le premier album dès la 2ème planche, d'une manière anodine, et à la fin du troisième (ndlr : "la Nuit du Chat"), Broussaille et elle sont enfin ensembles. Dans ce sens-là, oui, on peut y voir un cycle. On ne se serait jamais attendu que leur rapprochement allait avoir lieu si vite! Mais plutôt que cela aurait duré encore quelques albums. On ne connaît pas le temps qui sépare les albums. Dans la manière dont il va chez Catherine, qu'il veut lui téléphoner et le flash-back, quand ils sont à la mer, on sent qu'ils se sont revus. Verra t'on encore des flash-back sur la période avant "la Nuit du Chat"? En principe, non. La relation est claire et on va pouvoir aller de l'avant! Catherine va être un personnage important. Sinon je ne l'aurais pas mise sur le mur du Plattesteen ! Ce personnage apparaît également dans le 2ème album. Oui, on savait qu'elle reviendrait. On a voulu simplement montrer Catherine pour dire qu'on ne l'oublie pas. Un petit clin d'œil ! Les relations avec sa mère sont plutôt tendues. Broussaille, c'est une série avec des adolescents qui s'adresse, en principe, aux adolescents. Et le thème des pa cents est un des thème important à cet âge-là Comme on ne veut pas montrer d'emblée les parents de Broussaille -parce que ce n'est pas le sujet de la série, sinon on est parti dans du "Bidouille et Violette"- on doit bien aborder ce thème, par des biais différents. La mère de Catherine c'est une manière de faire allusion à la famille; l'oncle René, une autre; il y aura peut-être d'autres adultes comme eux. Il faut donner une épaisseur à l'environnement d'un personnage. Une autre façon de donner cette épaisseur, c'est de mettre beaucoup de scènes de vie, tels que le petit déjeuner, la vaisselle, la guindaille... C'est presque une constante de la série Broussaille! Du fantastique qui émerge dans un quotidien bien reconnaissable. On vous met bien en confiance et puis c'est à ce moment-là que le monstre surgit Mais ici, ce ne sont pas des monstres! C'est plutôt une quête de son alter ego! Exact! C'est-à-dire que les monstres, on peut toujours comprendre cela comme quelque chose d'initiatique. Les trucs abominables, Gore et tout ça, c'est une déviation de l'histoire initiatique. Nous, on prend plutôt le côté opposé, même si on fait attention à ne pas être trop merveilleux. La baleine -positive-, on l'a équilibré par le cachalot -noir-, etc. Un cauchemar a été le point de départ des Baleines? L'image du dos de la baleine qui émergeait du trottoir n'avait pas la coloration d'un cauchemar à ce moment-là. C'était quelque chose de trouble, d'inquiétant sans être dangereux. Un personnage, le comptable Petit, plane au-dessus de ce premier album. Il a vécu la même chose que Broussaille un demi-siècle plus tôt. C'est une sorte de Broussaille, moins développé, parce qu'il n'a pas vu la Baleine. On sent que c'est le vieux célibataire qui a aussi un chat; il lui a peut-être manqué une Catherine ? Ils ne sont pas tout à fait semblables. Le moment fort du premier album est la rencontre entre Broussaille et la Baleine, la fin de sa quête. Il a cette chance de voir une matérialisation d'un rêve, c'est donc un fantasme qui devient réel. Il porte cela en lui. C'est tout le mécanisme du passage de l'enfance ou de l'adolescence à l'âge adulte. On passe du monde intérieur au monde extérieur. On se réalise, on devient concret, on agit. C'est ce qu'il se passe avec Broussaille. QUARTIER LEOPOLD L'action se déroule dans le quartier Léopold, le musée, la gare,... C'est un quartier formidable, pour ce qu'il s'y passe tous les jours. D'abord, il a une Histoire qui remonte à la naissance de la Belgique et même sans doute avant, puisqu'il y avait déjà ce vieux couvent qui a été transformé en Musée d'Histoire Naturelle. Le parc Léopold était une sorte de parc d'attraction, qui a été un jardin zoologique à un moment, puis il y a eu des serres énormes où l'on cultivait des plantes exotiques. Léopold II a construit ce qu'on a appelé le quartier Léopold, avec la gare et toutes ces maisons de maîtres. Autour de celles-ci vivaient les artistes qui travaillaient pour les grands bourgeois qui leurs commandaient tableaux, sculptures, moulages, corniches,... II y avait une vie culturelle et artistique très intense. C'est comme ça qu'on a retrouvé Rodin pendant plusieurs années travaillant ici, qu'Antoine Wiertz a créé son atelier. En outre, ce quartier est resté très populaire. Depuis 5 ans, il y a une formidable poussée immobilière car ce quartier se situe à proximité du Rond Point Schuman et de l'Europe. Le terrain est extrêmement tentant pour les constructeurs de bureaux. Face à cette activité immobilière intense, un mouvement, un comité de quartier s'est créé; il était préparé depuis bien longtemps pour contrer cela et pour aménager convenablement l'établissement des bureaux de l'Europe dans un quartier ancien comme celui-ci. Par ce biais, je connais beaucoup de gens. C'est très agréable de se retrouver dans un petit quartier où il y a encore quelque chose qui se passe. ça me nourrit très fort pour Broussaille. C'est tout à fait ça, c'est le quotidien, c'est vivant, ça bouge tout le temps. Il faut parfois retrousser ses manches, ce ne sont pas que des débats improductifs. D'UN NATUREL LUMINEUX On trouve un petit coin champêtre dans "Les sculpteurs de Lumières". Ces sculpteurs qui rappellent la Renaissance. Les Lumières! L'idée de départ de Bom vient de là: un principe technique qui permettrait de sculpter avec de la lumière. Des trois albums c'est celui qui est le plus Bom, il aime l'histoire avec un grand "H". Moi, j'ai amené la nature! On voulait que la série soit très large, qu'elle ait plein de possibilités, il fallait donc d'emblée montrer qu'on pouvait fonctionner sur des thèmes très différents, tout en gardant, évidemment des points communs d'albums en albums. Il n'y a aucun rêve dans "les sculpteurs de Lumières" et les personnages sont tout à fait différents. Dont l'oncle René qui est inspiré d'un personnage réel, qui n'est autre que René Hausman. Ce n'est un secret pour personne! Vous êtes admirateur de René Hausman !?! Oui! CES BONNES BÊTES Le fait que vous fassiez constamment référence aux animaux, ça vous vient d'Hausman ? Non, j'aimais les animaux déjà avant! Quand j'étais gosse, je me rappelle qu'une camole passait dans la rue à St-Josse. Elle était tirée par un cheval et je devenais fou. Ma mère devait me mettre sur l'appuie de fenêtre pour que je voie le cheval sinon je piquais une crise. D'où ça vient, je n'en sais rien! Toujours est-il qu'à tous les âges, j'ai eu un intérêt pour ça, qui est de l'ordre du plaisir. En effet, j'allais dans des cirques; adolescent, j'ai visité des zoos, j'allais me balader à la campagne. Puis je m'y suis intéressé plus au niveau de la connaissance, j'avais plus de bouquins, j'ai rencontré des gens qui étaient biologistes. Des gens qui m'ont appris comment élever, étudier et reproduire des reptiles sans qu'ils en souffrent de trop. Si je fais "Zoo", c'est parce que j'ai approché ça de très près. COLLECTIVITÉS Entre-Chats, est-ce la concrétisation de ce que vous vouliez réaliser pour le premier calendrier scout ? Un collectif avec des amis dessinateurs? Ni le calendrier 89, ni "Entre-Chats" ne sont des collectifs, c'est de la mise en scène. Ils m'ont demandé de jouer au chef d'orchestre, de choisir les dessinateurs et de les mettre en scène. Comme à cette époque, j'étais très attirer par une mise en page fourre-tout, j'ai imaginé une histoire qui courrait à travers tout le calendrier et une présentation très riche pour chaque page, pleine d'illustrations, de petites anecdotes ... C'est en voyant ça que Delcourt m'a demandé de jouer le même rôle pour un livre avec des chats. ça m'intéressait d'autant plus qu'on me demandait de travailler non seulement avec des dessinateurs belges mais aussi avec de grands noms français. C'est la première fois également que je travaillais avec un autre éditeur que Dupuis. J'ai senti un autre climat, un petit éditeur dynamique, beaucoup plus présent que Dupuis, parce qu'il y a moins d'auteurs. II m'a appris plein de choses sur l'édition. C'est un petit peu un livre idéal, non pas dans le résultat, mais dans le travail, dans sa création. Quel en fut le principe ? Imposiez-vous les thèmes ou avaient-ils libre cours? Dans un premier temps, on a fait une description générale et idéale du bouquin qui devait être équilibré. On voulait que la B.D, s'intègre au reste de l'histoire. C'est le truc de commencer à la moitié de la page et de terminer sur la moitié d'une autre. On reprend par un petit dessin, un texte intermédiaire. On avait notre plan avec des dessinateurs précis mais cela ne convenait pas toujours. Ils ne voulaient pas ce thème-là, cette technique-là, cette date-là. On a refait 3 ou 4 maquettes du bouquin. Il y a des auteurs qui se sont désisté, aussi. Dont Loisel ? Oui, Loisel, mais il terminait "La Quête de l'Oiseau du Temps". Yslaire aussi, Vicomte, Lelong -il avait dessiné ailleurs des chats fabuleux... Puis il y a eu des surprises, comme Franquin. On espérait avoir un petit croquis, puis finalement il y a eu 4 pages de Franquin dans le bouquin. Le problème c'est de commander un truc de la manière la plus souple et précise en même temps. C'est à dire que si le dessinateur a envie d'être guidé, vous lui donnez un maximum d'indications possibles. Puis il y en a d'autres qui ont besoin de beaucoup de liberté, et c'est à nous de nous débrouiller pour les insérer dans l'ensemble. Pour chacun c'est un problème complètement différent. Et malgré tout quand on a reçu les dessins définitifs, certains nous ont beaucoup étonné, un petit peu déçu ou ne correspondaient pas à ce qu'on attendait. En court de route, un auteur aime bien virer de cap à 90° et se surprendre. Ce qui fait que le résultat du bouquin n'est jamais celui qu'on avait en tête, c'est le lot de tous les projets de ce genre. TOPAZE On y trouve un auteur qui n'est pas connu du tout : Topaze. Qui est-ce? Michel Dubois de son vrai nom... Ses chats sont très très beaux, superbes... Topaze, c'est quelqu'un que j'ai rencontré grâce aux frères Pasamonik du temps de Magic-Strip. Topaze n'avait aucune qualification particulière. Les Pasamonik l'ont envoyé chez Jacques Martin qui cherchait des coloristes à l'époque. Et pendant quelques années, il a appris le métier de coloriste chez Martin qui est un des tout bon coloriste. Il s'est découvert un talent, un univers de couleurs très fortes, une personnalité extraordinaire. En sortant de là, il avait un outil formidable. Ensuite, il a travaillé avec Geluck, Goffin, Zanon. Puis, on s'est de nouveau rencontrés. Il avait lu les 2 premiers Broussaille et m'a dit qu'il ne voulait plus mettre qu'un seul album en couleur dans sa vie et que ça lui plairait que ce soit Broussaille. J'étais tout content, d'autant que la mise en couleur d'un album, c'est assez fastidieux. Dans la "Nuit du chat", il a apporté un plus. On a travaillé à deux sur certaines pages en alternance. Mais 80 pour 100 de la couleur de Broussaille, dont certaines très très fortes, est de lui. Depuis, évidemment, il a fait encore plein d'albums. Mais pas n'importe quoi! II a terminé "la Route de Selma" avec Berthet. C'est de nouveau superbe... Et puis le prochain Broussaille... peut-être? On a une bonne entente sur le plan artistique. Quel qu'un qui va puiser chez des grands maîtres ce n'est pas fréquent! Il travaille avec des bouquins de Goya, Michel-Ange, à côté de sa table. ça peut paraître prétentieux; quand on le rencontre, ça ne l'est pas du tout. C'est quelqu'un de très drôle. (rires) CES CHATS MYSTÉRIEUX Les chats, c'est un thème récurent... C'est bizarre, parce que je n'ai eu qu'un seul chat dans ma vie, c'est "Le Chat". Je l'ai eu il y a 10 ans, comme chaton. S'il y a plein de chats dans ce que je raconte, c'est parce que le chat est l'animal le plus proche d'un personnage au quotidien. Donc, dans Broussaille, ça s'imposait... Et comme je n'ai jamais eu de chien,... "Entre Chat", c'est une idée de Delcourt. D'ailleurs, la première réponse que je lui ai faite était non, parce que je ne connaissais pas les chats. Puis, je l'ai pris comme une exploration, une dé couverte. ça m'a bien plu! Le chat est un des sommet dans le catalogue des animaux intéressants. C'est toujours très beau, élégant, varié. Je me sens bien avec un chat, il y a complicité. Mais je ne "suis" pas un chat comme Leonore Fini. DE LA VRAIE BD Qu'est Zoo ? Quand paraît-il? Je ne sais pas parce que suis à la fin de l'introduction qui compte 15 planches. Les 2 "Aire Libre" font 110 planches en tout. Donc il y a encore un peu d'attente surtout qu'on veut sortir les 2 bouquins en peu de temps. 6 mois maximum pour avoir la suite, d'autant plus que ce n'est pas une série, mais une histoire complète coupée en deux. Qu'est Zoo ? C'est une vraie histoire, c'est de la vraie B.D. C'est pas une expérience graphique ou esthétique, ni de scénario tarabiscoté. C'est un dessin réaliste en couleurs directes (exactement le même technique que le calendrier scout 91)! Et ça s'adresse à des adultes. Je ne dis pas ça tellement parce qu'il y a quelques scènes avec du sexe mais surtout parce que le propos ne pourrait pas être perçu par les enfants. ça traite de questions qu'on se pose à l'adolescence ou à l'âge adulte. Cette fameuse introduction se passe en Sibérie au début du siècle. On découvre que, dans un village très reculé et très archaïque, animiste (c-à-d que les gens voient un esprit dans les objets), les habitants sont persuadés que l'âme des animaux se trouve dans leur mu seau. C'est véridique, on a trouvé ça dans un bouquin d'ethnographie! C'est assez général dans les peuplades animistes. Le nez est une partie vraiment très importante. Ainsi, on assiste au retour des chasseurs qui, avant de dépecer les animaux, vont découper leur museau et les mettent à un endroit bien en vue du village, comme autant de reliques. On fait la connaissance d'un couple entouré de quelques animaux. Il y a un ours, 2 chiens, ... Le bonhomme est chasseur. Lors d'une fête où l'alcool coule à flot, où il y a des débordements dans tous les sens, arrive un accident abominable. Le bonhomme est tué en même temps que tous les animaux. La femme reçoit un coup de crosse sur le nez et le perd. Elle est persuadée qu'elle a perdu son âme en perdant son nez et elle est rejetée par tout le village, parce qu'elle n'est plus rien du tout ... Elle va être expulsée. C'est la fin de l'introduction. A la page 16, on la retrouve en France quelques années plus tard. Elle va croiser le parcours de 3 personnes qui vi vent dans un petit zoo privé de Normandie. Ils vont la prendre sous leur aile, dans leur petit univers très clos, très protégé et ils vont aider cette femme à retomber sur ses pattes. Et on laissera le suspense ... Je n'en dis pas plus. Le zoo est presqu'un personnage à lui tout seul, parce que c'est un lieu fantastique. Des grandes serres, des animaux a peine en cage, puis des gens qui courent là-de dans ... BONIFAY Comment avez-vous rencontré Bonifay On s'est rencontré d'une manière très banale! A un festival de BD à Maubeuge, il doit y avoir 4 ou 5 ans. Par hasard, on était assis l'un à côté de l'autre et ça a bien "cloppé". Et puis on s'est revu aux festivals. On s'est invité. On s'est dit qu'on ferait quelque chose ensemble. Puis quand j'ai vraiment eu le déclic pour Zoo, j'ai été le trouver. Je pensais qu'il était vraiment le meilleur scénariste pour cette histoire-là, qu'on pourrait se compléter. Par exemple, pour les personnages, je savais qu'il développerait très fort les psychologies. Et coup de bol, il avait plein de choses à dire sur la matière que je lui proposait. C'est un peu comme avec Bom. Même type de relation? Même chance sur tout ce qui se passe au-delà de nous; mais le travail est complètement différent. INSPIRATIONS Vos inspirations : Rodin, Egon Schiele, Bugatti ? Oui, parce qu'un des personnage de Zoo est un sculpteur animalier. Il emprunte beaucoup d'un sculpteur qui a vraiment existé qui s'appelle Rembrandt Bugatti ... C'est un personnage tellement typique pour la fin du XIXème - début XXème qu'on peut faire se recouper dans cet artiste plein d'autres et notamment Egon Schiele qui physiquement lui ressemblait assez bien. Rodin peut-être pour la puissance du travail. Dans vos inspirations générales, hors-Zoo, Rodin vous a marqué!?! Rodin m'a influencé un moment parce que c'est le premier type qui m'a dit ce que c'était l'Art. J'avais 14 ans. J'ai lu une bibliographie de Rodin, puis je suis tombé tout à fait par hasard sur une sorte d'interview de l'époque. C'était la première fois que "j'entendais" un artiste parler de ce qu'il faisait. ça a vraiment déterminé mon boulot pour la suite parce qu'il m'a donné les axes principaux. ç'aurait pu être quelqu'un d'autre. Peu après, j'ai été au musée Rodin à Paris, ça a été le choc! La sculpture m'a toujours parlé ... C'est là que Rodin est important. Maintenant je ne peux pas dire que Rodin, dans son style, a influencé mon travail. Takorwski, voilà quelqu'un qui m'influence actuellement. Rodin c'est un peu passé. Les films de Tarkowski! Par exemple "Stalker", je l'ai vu une quinzaine de fois, c'est quelque chose qui m'étonne, qui me fascine, il y a toujours un mystère là-dedans. Et je sens quelque chose derrière, donc je creuse toujours... COULEURS DIRECTES De travailler en couleurs directes, qu'est-ce que ça vous apporte? Quand on compare une impression de mise en couleur par bleu ou en cou leurs directes, on se rend compte qu'il y a des choses qui sont impossibles dans l'une et l'autre technique. Ce qui est, notamment, possible en couleurs directes, c'est d'avoir des dégradés de noir entre la couleur e le noir et aussi dans l'autre sens, d'une couleur ou d'un gris vers le blanc. ça parait un détail sans importance pour la plupart des BD mais pour moi c'est fondamental. Je veux travailler la lumière dans "Zoo". Les dégradés et les contrastes sont donc essentiels. La deuxième raison, c'est qu'en cou leurs directes, on peut faire des effets de matière, qu'on ne peut pas faire sur bleu. Pour Zoo, j'avais besoin de faire ça parce que c'est une histoire avec des ambiances et la matière est un atout formidable pour mettre le lecteur dans une situation particulière. Dans Zoo, on va faire appel très très fort aux matières. Toutes les matières animales, les poils, la plume, l'écaille, l'environne ment, l'humidité, la chaleur moite, l'eau froide. Tout ça, c'est très important. Cette personne qui perd son nez, elle perd son odorat, donc c'est de nouveau un appel aux sens. C'est très clair, il y a moyen d'en faire une théorie. ARTS CLASSIQUES Faites-vous de la peinture, de la sculpture? Pas de peinture! Aucun projet, aucune envie ...? Le dessin, l'illustration, la couleur me suffisent. Je crois que maintenant, j'ai trouvé ma technique. La peinture en elle-même, la matière, à priori, ne m'attire pas. Je prends un plaisir énorme à travailler pour l'édition, l'impression et la diffusion. Quand je re vaille pour un seul exemplaire, pour une personne, j'ai difficile de me concentrer, de me mobiliser suffisamment. C'est probablement une déformation professionnelle. Donc il y a l'illustration et la BD... Oui! La sculpture, ça me plaît énormément. Régulièrement, j'ai des démangeaisons au bout des doigts quand j'arrive à prendre du temps, un fois par an, je fais un petit modelage. Puis ça s'arrête-là! C'est très amateur, plein de défauts. Mais ça me plaît. Je me dis toujours que quand je serai pensionné, je prendrai enfin des cours de sculpture. JEU des SI
Si vous étiez un roman, lequel seriez-vous? Robinson et les limbes du Pacifique, de Tournier. Une musique? Un morceau de Schubert, un morceau d'Arvo Pärt -un compositeur contemporain, du Gérard Manses, du Robert Whyatt. Un film? Stalker! Un sport? Aucun! Un pays ou une contrée? Bruxelles! Un plat ? Un plateau de fruits de mer! Une boisson? Un bon vin! Si vous deviez travailler avec un nouveau scénariste, avec lequel choisiriez de travailler ? Peut-être avec Makyo ou Andréas! Et aussi avec quelqu'un d'encore inconnu! Si vous repreniez un personnage? Je suis contre la reprise de personnage! Si vous alliez sur une île déserte, quel objet emporteriez vous? Mes lunettes! Si tous les budgets possibles vous étaient accordés pour faire une oeuvre personnelle, que feriez-vous? Un Zoo ! ! -très spécial, évidemment ! Hors de l'intégrale de l'interview de FRANK
Travailler le rêve. c'est très agréable sur le plan graphique parce que ça permet d'aller vers des images un peu surréalistes. Mélanger des univers, c'est intéressant. Plus intéressant que de rester cantonné dans la réalité pure ou le fantastique débridé. J'aime bien ces entre-deux ...
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