Une soirée chez Frank

C'était mon dernier jour à Bruxelles, je n'avait pas réussi à l'atteindre (son téléphone n'était pas encore en service) et j'avait vraiment envie de le voir... Je marchais dans la ruelle tranquille et je m'arrêtai devant le 54 et appuyai sur la sonnette. J'entendis "Qui est-ce?" et levai la tête; il avait la tête de Broussaille et je lui répondit et expliquai ma présence. Il n'était pas fâché et m'accueillit chaleureusement (il était 20 h 30). On a beaucoup discuté, il a regardé mes planches avec attention en me faisant quelques remarques subtiles et intelligentes... Il m'a montré des tas de planches, d'illustrations, de crobards et mêmes quelques remarquables modelages. J'était touché par sa gentillesse et émerveillé de découvrir d'autres facettes de ton talent. Il s'appelle Frank et l'interview qui suit vous permettra de le découvrir.

Quand tu étais petit, tu dessinais déjà dans les marges de tes cahiers?

Oui, évidemment, dans les marges de mes cahiers, sur les fenêtres, partout quoi. J'ai commencé mes premières BD vers l'âge de 15 ans, la première planche comportait déjà des animaux.

Tu t'y intéressais déjà?

Plutôt aux animaux qu'à la BD, Dans ce qui m'intéresse, on ne peut mettre de priorité. C'est deux choses très différentes. Je crois que ça se complète dans ma manière de faire de la BD, j'y apporte ce que j'aime bien dans la nature.

Tu arrives à concilier ta passion pour les animaux avec la BD?

Oui. Avant, mon intérêt pour les animaux se traduisait sous forme de passion pour les reptiles. J'avais une collection de reptiles assez importante chez moi, ça demandait un travail pratique et du temps qui était un peu en concurrence avec mon dessin. J'ai passé cette période là, ça ne m'intéresse plus de faire ça.

Comment es-tu devenu professionnel? Es-tu passé directement dans Spirou ou as-tu travaillé pour d'autres éditeurs?

Je faisais déjà de la BD en amateur lorsque j'étais à l'Athénée, qui correspond aux Humanités en France. J'ai arrêté parce que je me suis rendu compte que ce n'était pas la voie qui me convenait. Je suis allé à l'école de dessin de Saint-Luc, où j'ai rencontré Hislaire et Geerts, qui connaissaient Jean-Marie Brouyere, et on est devenus copains. Quand j'ai terminé Saint-Luc, c'est par lui que je suis arrivé à la rédaction Spirou, et Martens m'a donné un scénario à réaliser. Je dois quand même dire qu'avant de rencontrer Hislairé et Geerts j'avais déjà publié une carte blanche dans Spirou.

Quelle a été ta première publication après la carte blanche?

Ça a été des illustrations, et j'ai commencé à réaliser ce scénario dé 44 pages qui vient de paraître dans Spirou. Au départ il était convenu que Martens écrivait lé scénario et que Brouyére faisait le découpage, mais Brouyère s'est envolé dans la nature et n'a plus rien produit. C'est Martens qui a continué le découpage.

Comment as-tu créé Broussaille?

Ça s'est passé quand De Kuysche est arrivé comme rédacteur-en-chef au journal Spirou. Il y avait toute une série de rubriques établies, notamment "Nature-jeunesse" qui était d'une forme assez ardue. C'était un article illustré par deux-trois photos ou dessins, dont la présentation ne variait pas beaucoup et n'était pas très attrayante. De Kuysche voulait une formule plus vivante et beaucoup plus directe, alors je lui ai proposé une série d'articles sur les jardins zoologiques, ça ne lui plaisait pas beaucoup mais il a retenu que les animaux m'intéressaient et quelques mois après il m'a proposé de faire une rubrique en me demandant de parler des animaux de chez nous, que je ne connaissais pas bien. J'étais très fort pour tout ce qui était exotique par les bouquins et par les zoos. J'ai hésité un peu et j'ai accepté: ça a donné Broussaille comme personnage de présentation, je m'y suis attaché et c'est devenu un personnage de BD.

Broussaille te ressemble beaucoup...

Je crois que c'est vrai physiquement, pour le caractère c'est un peu différent, Broussaille correspond à une période bien précise de ma vie: celle de l'Athénée.

Que penses-tu de ce métier?

C'est un métier assez génial qui a beaucoup d'avantages qui sont très difficiles à trouver de nos jours, qui permet de gagner sa vie normalement, ce qui maintenant n'est pas évident pour tous les jeunes (de gagner sa vie tout en faisant ce qu'on aime). Et en plus: plus on fait ce qu'on aime et mieux on le fait. Mais il y a dans la BD une espèce d'appauvrissement du dessin de génération en génération. On a appris à dessiner d'après le dessinateur précédent qui avait déjà été formé dans une certaine synthèse de dessin ou école. Je trouve que les styles en BD sont actuellement assez appauvris, du moins en ce qui concerne la BD pour jeunes. Une chose qui m'intéresse beaucoup c'est de partir des sources du dessin classique et d'essayer de trouver d'autres formes de dessin. J'aime bien dessiner pour moi en réaliste, faire des croquis d'après nature, faire du modelage, essayer des techniques. J'espère que (c'est peut-être prétentieux) cet intérêt pour d'autres formes soit partagé par d'autres dessinateurs et leur donne envie de sortir des styles établis.

NOTES COMPLÉMENTAIRES
Frank a publié de nombreuses planches et histoires complètes de Broussaille dans le journal "Spirou" depuis septembre 78. Rappelons que cette série a débuté sous la forme de "papiers" sur la nature, les animaux, les insectes, etc. Au moment où j'écris ces notes, Frank termine un Broussaille en 44 planches: "Les Baleines publiques". Côté albums, on aura droit d'abord aux strips de l'Élan (cf. chroniques frénétiques) en automne, puis à Vincent Murat en 85 ... hélas, pas de Broussaille programmé!

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